lundi 21 juillet 2014

Un living lab dans un centre de science?



Qu’est-ce qu’un living lab dans un centre de science ? Quittant Ecsite et la coordination du projet KiiCS, j’ai rejoint au 1er juillet 2014 l’équipe de Cap Sciences à Bordeaux. L’une de mes missions consiste à concevoir une nouvelle offre pour le living lab. Pour résumer, rappelons brièvement que le living lab fait partie des dispositifs mis en place par le projet Inmédiats, qui réunit six des plus importants CCSTI français afin de proposer aux 15-25 ans de s’adonner aux joies du numérique et de l’innovation sur un mode participatif. Inmédiats est extrêmement ambitieux puisqu’il est conçu comme un laboratoire de recherche et développement,  afin de définir un modèle pour la nouvelle génération de centres de sciences. Autant dire qu’il y a du pain sur la planche : si quelques institutions historiques, comme le Palais de la découverte ou l’Exploratorium de San Francisco, sont restés des références, bien peu peuvent aujourd’hui revendiquer un statut de modèle pour les années à venir. La Science Gallery de Dublin semble en bon chemin et a déjà commencé à faire des petits… L’avenir nous dira si le modèle tient ses promesses (comme je le crois) ou s’il s’agit uniquement d’un excellent branding
Mais revenons à la question du living lab. Qu’est-ce qu’un living lab ? Si on tente de cerner le sujet, on passe par l’inévitable Wikipedia :

"A living lab is a research concept. A living lab is a user-centred, open-innovation ecosystem, often operating in a territorial context (e.g. city, agglomeration, region), integrating concurrent research and innovation processes within a public-private-people partnership.

The concept is based on a systematic user co-creation approach integrating research and innovation processes. These are integrated through the co-creation, exploration, experimentation and evaluation of innovative ideas, scenarios, concepts and related technological artefacts in real life use cases. Such use cases involve user communities, not only as observed subjects but also as a source of creation. This approach allows all involved stakeholders to concurrently consider both the global performance of a product or service and its potential adoption by users. This consideration may be made at the earlier stage of research and development and through all elements of the product life-cycle, from design up to recycling." 

Définition large. Que faut-il en retenir? D’abord, qu’un living lab est un laboratoire, qu’on y recherche, qu’on y expérimente. Ensuite, qu’il est fondé sur l’implication de plusieurs parties prenantes : les chercheurs ou innovateurs, le public ou les utilisateurs, des partenaires privés et publics. Enfin – et c’est le point le plus important –, qu’un living lab est construit sur le principe de co-création, centrée sur l’utilisateur. Pas question de considérer l’utilisateur comme un cobaye, un sujet à étudier ou un testeur. L’utilisateur doit être source de création, et donc avoir une influence sur le processus de recherche et d’innovation.  Ce dernier point est très, peut-être trop ambitieux, mais il est la spécificité même des living labs.Le terme "living lab" désigne donc tout à la fois un environnement (le lieu de vie), une méthodologie (la co-conception) et un réseau de partenaires incluant les secteurs publics et privés avec les utilisateurs.

Historiquement, le concept de living lab aurait été exploré par le MIT, en particulier par Mitchell, Larson et Pentland. Commençons par quelques mots de William Mitchell, souvent cité comme le père fondateur des living labs et récemment décédé.

On y entend Mitchell replacer l’idée des living labs dans celle des Smart Cities. Pour que l’innovation et la société soient adaptées l’une à l’autre, Mitchell propose de faire des laboratoires à partir de lieux de vie : villes, immeubles, communautés, ou pourquoi pas musées de science. Les utilisateurs étant impliqués dans les processus de recherche et d’innovation, ils permettent aux débouchés d’être parfaitement adaptés à leur besoins et choix de société. L’intérêt d’une telle démarche dans la création d’un produit ou service est bien résumé dans le Living Lab Methodology Handbook du projet SmartIES :

  •  Valeur : les utilisateurs amènent une valeur ajoutée (valeur marchande, valeur utilisateur, valeur sociale) au produit ou service créé.
  • Influence : les utilisateurs influencent le produit ou service, et influencent donc les impacts sociaux de ce dernier.
  • Durabilité/Responsabilité : le projet est plus durable, tant au niveau environnemental, économique  que social.
  • Ouverture : l’innovation ou la recherche devient « ouverte », intégrant des points de vues plus divers et pouvant être adaptée et utilisée par un plus grand nombre de parties prenantes.
  • Réalisme : le processus de recherche est confronté à des utilisateurs réels, dans un espace de vie. La frontière entre le monde de la recherche et la vie autour est dissoute.
© David Reeves

La nouvelle offre living lab de Cap Sciences se fera donc avec des partenaires capables de voir leur intérêt dans ces principes: en ouvrant le processus de recherche et d’innovation, en impliquant l’utilisateur comme co-créateur, les résultats du processus seront de meilleure qualité. Pour l’instant c’est un pari : à nous de trouver les méthodologies adaptées pour prouver que le concept marche.

La deuxième question qui en découle est : mais pourquoi un living lab dans un centre de science ? Je vois au moins trois raisons pour lesquelles un living lab permet aux CCSTI de remplir leurs missions. Les living labs :
  1. Impliquent les citoyens dans une démarche de recherche et d’innovation. Un visiteur qui participe à des activités living labs n’a pas seulement découvert les produits de la démarche de recherche ou d’innovation, tels que les savoirs, objets et services créés. Il prend conscience du processus de recherche lui-même, de ses enjeux et de ses contraintes. Pour reprendre la terminologie anglo-saxonne, on passe du « Public understanding of science » au « public understanding of research ». L’intérêt de cette démarche est bien décrit dans cet article de Hyman Field et Patricia Powell.
  2. Donnent aux visiteurs le statut d’expérimentateur et de créateur. Le visiteur est ici face à des tâches où il n’existe pas de solution parfaite, de bonne réponse ou d’expert qui pourrait se passer de lui. Son propre vécu, ses expériences et sa créativité permettent de façonner des idées, de créer de nouveaux prototypes ou d’inventer des usages. Contrairement à une conférence où il « avale » du savoir avant de réagir, à un atelier où il réalise ce qui a été prévu par le médiateur, dans un living lab l’issue de l’activité dépend de lui. D’où un gain de plaisir créatif, mais aussi de responsabilité.
  3. Suscitent un dialogue autour de la recherche, de l’innovation et des technologies. Puisque les living labs permettent de découvrir et d’influencer les recherches en cours, ils ont le pouvoir de susciter un dialogue sur la recherche et l’innovation entre les citoyens. Or l’innovation – particulièrement dans le domaine du numérique, ces dernières années – a complètement redéfini nos pratiques et nos identités. Nul doute que ce mouvement va continuer. Il est donc essentiel de mettre en place des amorces de dialogue autour de la recherche et de l’innovation. Or, un dialogue qui n’aurait pas d’influence serait inutile et frustrant : coupler des propositions de dialogue informel à la démarche living lab donne au dialogue un sens, une portée et une efficacité.
Dans un prochain article, je présenterai comment ces trois éléments pourraient se combiner pour devenir une offre de centre de science.